LA RÉALISATION SONORE POUR LE THÉÂTRE
VERSION «ALLÉGÉE » POUR UNE DIFFUSION HORS UNIVERSITÉ (Thierry BALASSE)
3 éme partie (suite)


LA PLACE DU SON

    La notion de travail d'équipe ne faisait pas partie de mes hypothèses. Mais le nombre assez important de propositions formulées par les scénographes m'a amené à la faire figurer dans le tableau final (1). On constate ainsi que les réalisateurs s'expriment très peu sur cet aspect des choses, alors que les scénographes y sont assez sensibles

    Le son est globalement considéré comme ayant une place importante dans la création théâtrale (2). La grande différence de résultat obtenu par la lumière est due au sujet même du questionnaire, portant sur le son.

    Malgré cette importance du son, il est considéré comme non indispensable à la création. Les résultats sont assez nets (5), et l'absence de proposition équivalente pour la lumière (4) montre que l'on touche bien là à une caractéristique essentielle du son au théâtre aujourd'hui: c'est un élément possible, mais pas nécessaire systématiquement.

    On obtient des résultats marquants par leur étalement et leur ambiguïté concernant le lien entre le son et la scénographie (7). L'étalement est particulièrement sensible dans les réponses des metteurs en scène, qui semblent avoir du mal à se prononcer sur cette question. L'ambiguïté se retrouve chez les scénographes, qui énoncent presque autant de propositions positives que de négatives. Ce résultat devra être rapproché de celui obtenu à la question fermée portant sur le même sujet, ceci afin d'évaluer les raisons de cette ambivalence: s'agit-il d'une différence d'opinion selon les scénographes ou d'une difficulté à se prononcer sur ce sujet. Il est à noter par ailleurs la quasi unanimité concernant le lien entre la lumière et la scénographie (6).

    Les résultats obtenus par les familles de propositions (8) et (9) concernant la nécessité de faire intervenir plus ou moins tôt le travail du son et de la lumière au sein de la création sont peu marqués, mais on retrouve le même type d'opposition, d'ambiguïté de réponse que pour la notion vu précédemment.

LA SENSIBILITÉ AU SON

    On peut noter un résultat essentiel concernant la sensibilité au son des personnes interrogées (il): il semble que l'on ait là une des causes des problèmes rencontrés par les réalisateurs son. Les responsables artistiques, metteurs en scène et scénographes ne sont pas naturellement sensibles à ce domaine.

    Autre notion qui ne figurait pas dans mes hypothèses de départ, l'approche plutôt technique du domaine du son (12). On retrouve en effet un nombre assez important de formules mettant en avant l'aspect technique du son, sauf chez les scénographes. Le sonore serait donc perçu par ses acteurs et par les metteurs en scène comme un domaine ayant une forte charge technique, et ils l'abordent ainsi plutôt que par une approche artistique.

    Un nombre important de propositions émanant des metteurs en scène remet en cause l'aspect illustratif du son (13). Nous avons là un résultat qui devra être particulièrement pris en compte puisqu'il met en avant une revendication essentielle des responsables des spectacles: le son ne doit pas être illustratif Je crois que ce résultat est à rapprocher de celui concernant l'intérêt pour le son actuel (25): les metteurs en scène se désintéressent du son car ils le ressentent comme trop illustratif dans son utilisation actuelle. Nous aurons confirmation de ce point de vue en reprenant certaines propositions dans l'analyse des résultats qui suit.

LES DIFFÉRENTS MODES D'INTERVENTION DU SON

    Concernant les différentes formes que peut prendre le son au sein d'un spectacle (14 à 21), on peut noter les résultats suivants:
Le son direct (14) est totalement négligé par les réalisateurs son, alors qu'il est beaucoup cité par les scénographes, et qu'il est vu de façon très positive par les metteurs en scène. Nous touchons là à un désaccord majeur sur l'une des formes possibles du son au théâtre, qui semble être totalement oubliée par les responsables du son.

    Les scénographes montrent un intérêt particulier pour la voix et l'acoustique (15 et 16). Ce rapprochement est normal, puisque c'est la bonne acoustique d'un lieu et d'un décor qui va permettre une bonne perception de la voix des comédiens. mais par ailleurs, on constate que les réalisateurs son se désintéressent totalement de cet aspect. On devra mettre en avant cette discordance dans l'analyse de contenu.

    Pour les trois derniers domaines cités, le bruitage, la musique et le son "ambiance" (17, 18 et 20) qui obtiennent les plus forts résultats en total général, on peut constater dans un premier temps un point de désaccord déjà mis en avant précédemment: les réalisateurs s'expriment énormément sur la possibilité du bruitage, alors que les metteurs en scène et surtout les scénographes s'en désintéressent. On retrouve ici la notion de son illustratif, que les réalisateurs son devraient certainement mettre de côté afin de mieux répondre à une autre demande, plus unanime: le son "ambiance".

    Dernier point de vue sur les modes d'intervention du son: la musique (18). On peut noter qu'elle est citée dans les même proportions par les metteurs en scène et les scénographes, et qu'elle se place en retrait pour les responsables du son. La musique est donc considérée comme une dimension possible du son, une dimension importante au regard des résultats obtenus au total général. Cette forme du son doit donc être prise en compte par les réalisateurs son.

LES POINTS DE VUE SUR LE SON

    Voyons à présent les points de vue exprimés sur le son en général (22 à 25). On note dans un premier temps que le son est considéré comme "en retard" (23), ce par les réalisateurs eux-mêmes, mais aussi par les scénographes. Par contre, une seule proposition allant dans ce sens est formulée par les metteurs en scène. il faudra rapprocher ce résultat de celui sur le côté indispensable du son pour une meilleure analyse, et noter que les réalisateurs son expriment le sensation d'un progrès dans le travail du son (24). Par ailleurs, un fait essentiel se détache en fin de tableau: le désintérêt très marqué des metteurs en scène pour le son tel qu'il se pratique actuellement au théâtre (25). Il faudra lier ce point à différents autres déjà cités afin de comprendre d'où vient ce désintérêt, et comment y remédier, d'autant qu'il y a un contraste assez net entre ce point de vue et celui exprimé sur l'importance du son (3), jugée plutôt positivement.

    Pour terminer, on note une réelle difficulté à nommer les responsables du son (26), signe marquant du travail qu'il reste à faire pour intégrer cette profession.

III- D / L'ANALYSE DES RÉSULTATS / VALIDATION

LA SITUATION DU SON PAR RAPPORT AUX AUTRES DOMAINES DE LA CRÉATION THÉÂTRALE

LA LIAISON SON - SCÉNOGRAPHIE

    Les schémas des relations de travail proposés dans le questionnaire et réalisés par les personnes interrogées montrent de façon presque systématique une séparation des deux domaines qui nous intéressent. Le son est coupé de la scénographie, alors que la lumière y est souvent rattachée. L'intérêt de ce schéma généraliste était de détourner l'attention de cette question précise et de laisser s'exprimer le réalité actuelle de ces relations de travail.. Pourtant, on peut voir dans les résultats de la question interrogeant directement les différentes personnes sur ce sujet qu'on obtient des réponses plutôt positives de la part des réalisateurs son et des scénographes. On observe donc une première ambiguïté, confirmée par les résultats obtenus grâce à l'analyse de contenu. Je ne pense pas qu'il faut voir ici un défaut du questionnaire mis en place, mais une réelle hésitation de la part des scénographes et réalisateurs son. En fait, la réalité actuelle est traduite dans les schémas: le son n'est effectivement pas lié à la scénographie dans les créations actuelles. L'ambiguïté relevé par l'analyse de contenu fait apparaître des différences de point de vue quand les différents protagonistes commencent à se pencher sur le problème. Cela se confirme dans la réponse donnée par deux scénographes: ce lien est "variable". Finalement, cette ambiguïté que l'on retrouve quand on pose la question directement dénote sans doute une volonté de changement d'état de fait, exprimée par certains d'entre eux:

- "C'est dommage qu'on ne travaille pas ensemble." (scénographe)

- "Je dirais que c'est vraiment très très dommage..." (scénographe)

- "Mais j'aimerais bien qu'il y ait plus de connexions avec le son" (scénographe).

    On peut ici parler de dissonance cognitive, puisque les scénographes semblent admettre les liens entre le sonore et le visuel mais déclarent également ne pas travailler en relation avec les réalisateurs son. Hors, comme le dit Jean Pierre Poitou, reprenant la théorie de Festinger, "(...)la dissonance cognitive constitue un état pénible pour l'être humain, chez qui il existe un besoin de maintenir la plus grande consonance possible" (Poitou, 1974, pi 1). On retrouve dans les réponses des scénographes cette volonté de "fuir" leur propre contradiction: de fait, ils ne travaillent pas avec les réalisateurs son. Pourtant, ce lien entre le sonore et leur travail existe puisqu'ils en parlent indirectement. Mais afin d'être en accord avec leur pratique, ils préfèrent affirmer à priori que le son n'est pas lié à leur travail.

    Seule une scénographe semble avoir réellement pris conscience des liens entre les différents domaines qui entrent enjeu dans la création théâtrale:

- "Je cherche à retrouver ces liens" (scénographe)

LE POINT DE VUE GÉNÉRAL.

    Si on se réfère aux schémas de la question 2, on constate que très souvent le son est intégré au reste de l'équipe de travail. il est considéré comme un des éléments possibles de la création d'un spectacle. Par ailleurs, on voit par l'analyse de contenu que la notion de travail en équipe est citée à plusieurs reprises par les metteurs en scène et les scénographes. On peut donc en déduire que quand le son intervient au sein d'un spectacle, le réalisateur son doit être intégré au reste de l'équipe. Pourtant, on vient de voir que cela n'est pas évident, en ce qui concerne ses rapports avec le scénographe.

    Mais un autre facteur entre enjeu dans cet isolement des responsables du son. Les réponses données à la question 9 montrent que les metteurs en scène considèrent que le son peut intervenir en cours de création, pas nécessairement au tout début. Ils ont tendance à tempérer leur jugement, voir à l'inverser au cours de l'entretien, comme le montre l'analyse de contenu. il n'en reste pas moins que la réponse faite à la question 9 trahit la tendance habituelle. Pourtant, du point de vue des réalisateurs son, le travail devrait avoir lieu dès le début. Cela doit impérativement être modifié Si l'on désire intégrer le mieux possible le travail du son. En effet, arriver en cours de travail crée nécessairement des difficultés d'intégration, et un décalage par rapport au reste de la création artistique.

LE SON EN 1994

L'OPPOSITION LUMIÈRE / SON, L'INTÉRÊT DE LA COMPARAISON

    Comme je l'ai expliqué un peu plus haut, le domaine de la lumière a été choisi comme élément de comparaison du fait de sa récente intégration à l'équipe artistique de création. La situation actuelle des réalisateurs son peut être comparée à celle des éclairagiste il y 20 à 25 ans, quand la profession a connu un passage du secteur strictement technique à celui de la création.

    Ce point de vue semble partagé par les personnes interrogées, comme le montre par exemple ces deux remarques:

- "Le son n'a pas encore atteint le niveau de la lumière" (scénographe).

- "Sinon, ça sera comme la lumière il y a vingt - cinq ans, un élément qu'on rajoute la veille." (metteur en scène)

    Différents éléments dans les résultats montrent qu'effectivement le son se place en retrait par rapport a son homologue, la lumière: dans les réponses faites à la première question, il arrive que le son soit totalement oublié quand la lumière est elle citée. Le contraire n'arrive jamais. Le son n'est donc pas encore un domaine totalement intégré par les responsables de la création des spectacles. Par ailleurs, Si son et lumière sont tous les deux cités, on a systématiquement le même ordre de citation, a une exception près: on pense d'abord à la lumière puis au son. Cela correspond sans doute à la notion d'équipe de base souvent citée dans la profession: metteur en scène - scénographe - éclairagiste, ou à l'ordre le plus souvent utilisé dans la liste des personnes participant à la création sur les programmes des spectacle.

    Quoiqu'il en soit, le son garde cette position systématiquement en retrait de la lumière. il n'est pas question de vouloir inverser les choses, mais d'essayer de situer le son à sa juste valeur, et de comprendre d'où vient ce retrait actuel. La réponse se trouve peut être dans son caractère non indispensable

LE SON N'EST PAS INDISPENSABLE

    Par les résultats obtenus dans l'analyse de contenu, on note clairement ce caractère très particulier du son, jugé non indispensable par l'ensemble des métiers interrogés, y compris les réalisateurs son eux-mêmes. Cette question n'ayant pas été posée directement, c'est de leur propre choix que les gens se sont exprimés sur ce point de vue. Or on constate qu'aucune proposition, qu'elle soit négative ou positive n'est faite pour le domaine de la lumière.

    Cela montre qu'on caractérise véritablement le domaine du son par cette notion, à laquelle on ne pense pas pour d'autres domaines.

    Une remarque d'une des personnes illustre un point de vue sans doute exagéré sur cette question:

    - "Le son, c'est un peu du luxe. " (metteur en scène).

    Si elle illustre bien l'état d'esprit qui semble général, elle doit pourtant être nuancée. Je crois en effet que les réalisateurs son doivent admettre au moins momentanément ce caractère optionnel du son au théâtre, variable selon les choix esthétiques du metteur en scène, comme l'était la lumière auparavant. Mais il doivent lutter contre cette vision "accessoire" du son, dont l'utilisation ne doit pas être décidée sur un simple critère financier. Enfin, il ne faut pas négliger le fait que le peu d'intérêt actuel pour le son provient sans doute d'un manque de sensibilisation à ce domaine:

LA SENSIBILITÉ AU SON DES METTEURS EN SCÈNE ET DES SCÉNOGRAPHES

    C'est un des résultats majeurs de l'analyse de contenu: les metteurs en scène et les scénographes se disent eux-mêmes peu sensibles au son. Cela confirme qu'il ne faut pas simplement voir dans les différences d'appréciation de la lumière et du son une caractéristique hiérarchique effective, mais aussi et sans doute surtout, une différence de sensibilité. Ce phénomène se retrouve dans la vie courante, où le visuel a pris le pas sur le sonore, comme je lai déjà décrit précédemment. Ce résultat doit être mis particulièrement en avant, d'autant plus que là encore, les personnes n'ont pas été directement sollicitées sur cette question. C'est elles qui éprouvent le besoin de formuler ce manque. Enfin, il peut être considéré comme la cause principal du retard du son: Si les initiateurs des spectacles se sentent peu attirés par un domaine, il y a peu de chance qu'ils l'utilisent. De ce fait, les réalisateurs ont la sensation que leur domaine est négligé par les metteurs en scène.

LE SON EST NÉGLIGÉ

    C'est une scénographe qui exprime le plus clairement cet état de fait:

- "Je trouve qu'on ne fait pas assez attention au son" (scénographe)

    C'est l'avis qui ressort de l'analyse de contenu, en ce qui concerne les scénographes et les réalisateurs son. Une nouvelle notion apparaît ici, simplement annoncée dans les comparaisons avec la lumière: les réalisateurs son, de même que les scénographes ont la sensation que le son est en retard sur les autres disciplines.

    On note également que les metteurs en scène ne se prononcent pas sur cet aspect des choses. On peut y voir la raison majeure du sentiment des autres. En effet, le metteur en scène étant la personne responsable de départ des spectacles, Si elle juge le son comme non indispensable comme nous l'avons vu et pas spécialement en retard, le son ne peut pas de fait se développer rapidement. Cette notion de retard se retrouve dans certains propos des réalisateurs son:

- "mais il y a des moments de lassitude, on nous demande toujours la même chose." (réalisateur son)

    Pourtant, on peut sentir par certains résultats une volonté de changement de la part des personnes interrogées. On peut essentiellement le repérer dans l'importance qui est malgré tout donné au son dans la création, quand on pose la question directement, et l'abondance des réponses formulée sur les différentes façons dont le son peut intervenir. C'est par le questionnement sur les différentes formes que peut prendre le son qu'est mis en avant un autre facteur responsable de ce retard: le fait que les metteurs en scène soient peu convaincus par ce qu'ils entendent au théâtre.

LES TRAVAUX SONORES ACTUELS SONT PEU CONVAINCANTS

    L'analyse de contenu montre de façon très nette que les metteurs en scène n'ont qu'un intérêt très faible pour le son au théâtre tel qu'il existe aujourd'hui. il faut distinguer ce point de vue de la sensibilité même de ces personnes au son. Il s'agit là de leur avis sur ce qui se fait, ce qu'ils entendent dans les différents spectacles qui se montent aujourd'hui.

    Le son n'a pas bonne réputation actuellement auprès des metteurs en scène, et c'est un facteur déterminant. Une personne peu sensible au son a priori et qui de plus est peu convaincue par ce qu'on lui propose en la matière ne peut que se détourner complètement du son. il convient donc d'explorer le point de vue des metteurs en scène et des réalisateurs son sur les formes que peut prendre le son au théâtre, pour faire ressortir les différences de vision qui ne manqueront pas de s'exprimer, et qui expliqueront sans doute ce désintérêt. Notons déjà une phrase tirée de l'un de ces entretiens, qui lancent une piste de réflexion, et établi ce lien entre désintérêt actuel et propositions inadaptées des réalisateurs son:

- "le son est réaliste, chiant parce que réaliste. " (metteur en scène)

UNE IDENTITÉ POUR LE DOMAINE DU SON: LES FORMES QUE PEUT PRENDRE LE SON

LE SON, UN DOMAINE TECHNIQUE

    Avant de voir les différentes manières d'intervenir pour le son citées au cours des entretiens, il faut noter un aspect qui est apparu par l'analyse de contenu: le son est appréhendé de façon technique par les metteurs en scène et les réalisateurs son.

    Il faut bien noter que cette approche n'est suggérée par aucune des questions de la grille de départ, qui mettent plutôt en avant l'aspect artistique du domaine. Pourtant, plusieurs propositions ramènent le son à un point de vue strictement technique. On ne peut évidemment pas mer cette caractéristique du son qui fait effectivement appel à un appareillage technique assez sophistiqué. Mais ne peut-on pas voir ici une des causes de son rejet? Les résultats obtenus ne permettent pas d'être affirmatif, mais une piste peut être envisagée dans cette direction: l'aspect trop technique mis en avant par les réalisateurs son peut éloigner les metteurs en scène, plus préoccupés par une approche artistique. il est vrai que la lumière, domaine également technique au départ, permet pourtant de s'en échapper plus facilement que pour le son, et de passer très rapidement à une dimension artistique.

    Voyons à présent quelle représentation concrète se font les professionnels du spectacle du domaine du sonore:

L'ACOUSTIQUE

    L'acoustique est un domaine cité par les scénographes dans une proportion assez large. ils se sentent concernés par ce problème qu'ils citent de façon directe, et qui se dénote également dans l'importance qu'ils attachent à la voix des comédiens. On aurait donc ici un rapprochement possible avec les responsables du son, qui ont connaissance du domaine acoustique de part leur métier. Pourtant, il faut bien constater qu'aucune des personnes responsables du son interrogées n'y pense. Et cela se confirme également par le peu d'intérêt porté à la voix.

    On constate donc une occasion manquée de profiter d'un aspect commun aux deux métiers; on aurait là un rapprochement possible de la scénographie et du son, à travers un domaine passerelle. il est donc du ressort des réalisateurs son de reprendre conscience du rôle qu'ils peuvent jouer dans ce domaine, et de la possibilité qui leur est offerte de se lier au travail du scénographe, d'autant plus que les scénographes semblent sensibles à cet aspect, sans forcément prétendre le maîtriser.

LE SON NE DOIT PAS ÊTRE ILLUSTRATIF

    Point de discorde très marqué, le caractère illustratif que peut prendre le son. Comme je l'ai expliqué dans le chapitre 1, il est en effet assez facile de penser bruitage réaliste quand on parle de son pour le théâtre.

    Mais il apparaît clairement dans les résultats que cette dimension n'est pas souhaitée par les metteurs en scène, qu'elle les ennuie profondément:

- "A mon avis la pire, c'est illustratif" (metteur en scène)

- "Je n'aime pas quand c'est illustratif." (metteur en scène)

- "J’aime pas l'anecdote dans le son" (metteur en scène)

- "Que le son ne soit pas quelque chose d'illustratif" (metteur en scène)

    Le bruitage réaliste, l'illustration sonore n'est donc pas souhaitée par les metteurs en scène. Voyons ce qu'il en est des réalisateurs son: on ne peut pas noter de prise de position réellement en faveur de ce travail, mais on doit constater que le bruitage est la forme sonore la plus citée par ceux-ci. Toutefois, ils ajoutent fréquemment qu'ils préféreraient que le son prenne une autre forme, qu'il s'échappe de cette dimension restrictive. ~ semble en fait, par les commentaires des metteurs en scène et ceux des réalisateurs son que le bruitage réaliste soit aujourd'hui la forme la plus présente au théâtre, alors qu'elle n'est pas réellement souhaitée par qui que ce soit. Faut-il y voir une timidité réciproque? il y a sans aucun doute dans cet état de fait la preuve d'un manque de communication entre les deux corps de métier, puisqu'ils tombent d'accord sur un point de vue, sans l'appliquer dans les faits. On peut également trouver une cause dans le fait que les réalisateurs son se réfugient malgré tout dans le bruitage car ils n'ont pas toujours d'autres propositions convaincantes à faire. La limite se situe certainement dans ce que les uns comme les autres appelle le son "climat" ou le son "ambiance

DÉVELOPPER LE TRAVAIL D'AMBIANCE

    Il ressort des résultats que ce domaine, au contour un peu flou puisque les appellations varient, constitue un des points d'entente, de ralliement entre les metteurs en scène et les réalisateurs son. Cela ne paraît pas étonnant, puisque c'est sous cette forme que s'est faite la plus grande avancée récente du domaine du son au sein de la création. Comme je l'ai dit dans le chapitre 2, certains metteurs en scène ont développé le travail de "décor sonore" et contribué à un renouveau du son qui avait presque disparu dans les productions depuis la disparition des machines à bruit. Mais sa description assez floue faite par les uns et les autres dénote un côté "fourre tout" à cette classification. Certains parleront de création de sons de synthèse, d'autres parleront de modification de sons réalistes.

    En fait on peut se demander Si les uns et les autres parlent de la même chose. Comme je commençais à le signaler en parlant tout à l'heure du bruitage, tout le monde s'entend sur le fait que la solution de l'illustratif n'est pas adaptée au théâtre. Pourtant, les metteurs en scène se plaignent toujours que le son prend trop souvent cette dimension, alors que les uns et les autres défendent principalement un travail a priori plus abstrait, le travail de "climat, d'ambiance". On peut en arriver à penser que ce que les réalisateurs son nomment "ambiance" est en fait perçu comme du simple bruitage par les autres.

    Je me demande en fait Si les réalisateurs son ne sont pas trop timides dans leurs propositions, s'ils n'ont pas trop peur de s'écarter du réel pour ne pas perturber les metteurs en scène, alors qu'eux-mêmes ne demandent que ça. Un problème de manque de communication donc, dû peut être à un manque de terminologie commune, mais certainement aussi au point mis en avant plus haut dans cette analyse: le fait que l'on ne travaille le son bien souvent qu'au dernier moment, sans que son réalisateur n'ait pu suivre l'évolution artistique de la création.

    Autre point de mésentente, autre forme possible de création, mais surtout autre occasion manquée de répondre à la demande des metteurs en scène, le travail du son en direct.

L’IMPORTANCE DU SON DIRECT

    Par le nombre de propositions mettant en avant l'importance du son qui peut se produire en direct dans le cours d'une représentation, également par l'importance donnée à la voix, les scénographes et les metteurs en scène soulignent une dimension sonore qui semble totalement négligée par les responsables du son puisqu'aucun d'entre eux n'en fait mention au cours des entretiens réalisés.

    Pourtant ce son direct est l'origine même des interventions du son au théâtre, puisqu'il était le seul possible avant l'arrivée du son électroacoustique. Mais l'arrivée du magnétophone et des autres nouveaux supports de "reproduction" du son ont fait oublier l'importance de la "production" directe du son. Les scénographes citent l'importance du bruit des pas, des différents gestes faits par les comédiens. Les metteurs en scène citent le travail du bruitage en direct, comme un rêve devenu impossible.

    On a là un point majeur de discordance de point de vue. On peut relier ce fait à l'approche technique du domaine du son déjà signalée plus haut. il est vrai que toutes les formations actuelles menant au travail du son se voient dans l'obligation de mettre l'accent sur la technique, assez importante étant donnés les progrès récents.

    Il faudrait pourtant retrouver cette autre dimension du son, créé en direct par les comédiens, par un machiniste en coulisse ou même par un régisseur son, qui au lieu d'appuyer sur le bouton "lecture" du magnétophone, pourra manipuler des objets sonores en direct. J’ai déjà développé les avantages que je vois dans ce type de travail. Mais le point important ici est de constater que cette forme de travail est souhaitée par les metteurs en scène et les scénographes, sans qu'ils ne trouvent de réponse à leur demande.

LA VOIX

    Dernière forme possible évoquée, la voix, non des moindres puisqu'elle est le premier son au théâtre. Le tableau des résultats montre que les metteurs en scène citent très peu cet aspect du son. Mais rappelons qu'un de leurs rôles est la direction d'acteur, et que de ce fait le travail de la voix des comédiens est sous leur responsabilité. Il n'est donc pas étonnant qu'ils ne la considèrent pas comme faisant partie des charges du réalisateur son. Par contre, on constate que les scénographes y sont assez sensibles, qu'ils en parlent, souvent en mettant en avant le côté acoustique de cette forme sonore. L'un d'entre eux parle pourtant de la voix sonorisée, en mettant en avant la gêne que cela lui procure:

    "C'est sûr qu'il y a les difficultés du son retransmis, les voix sonorisées, qui sont déformées. Et il n'y a pas de localisation dans l'espace, tout passe dans les mêmes sources." (scénographe)

    On voit que l'on rejoint ici les problèmes soulevés dans le chapitre 2 de ce mémoire.

    Quoiqu'il en soit, hormis ce travail de sonorisation des voix déjà largement abordé, le manque d'intérêt pour le travail de la voix de la part des réalisateurs son que l'on constate ici montre qu'eux-mêmes ne situent plus leur domaine dans un ensemble de données propres au spectacle vivant. ils se sont laissés prendre au piège de la technique, du studio, du travail solitaire qui les a éloignés de la réalité du théâtre.

UNE IDENTITÉ POUR LES RESPONSABLES DU SON A TRAVERS UN NOM POUR CETTE PROFESSION

LES DIFFICULTÉS D'APPELLATION

    Pour mettre en avant cette difficulté, on utilise les résultats obtenus à la question fermée finale, mais également ceux mis en avant par l'analyse de contenu, puisque dans plusieurs cas, les difficultés à nommer les responsables du son sont apparues avant la fin de l'entretien.

    Deux signes trahissent cette difficulté: tout d'abord les commentaires signalant directement l'impossibilité ou l'hésitation à donner un nom. Mais aussi le fait qu'au moment de se prononcer sur une appellation, un nombre important de propositions sont faites, mettant en avant l'absence totale de consensus sur cette question. Or, même Si ce métier existe de fait, lui trouver une appellation officielle me parait important, afin que ses acteurs se sentent enfin intégrés dans le monde du théâtre.

    "ces groupes se savent uns et permanents, leurs membres se savent participer à un quelque chose de commun, avant de pouvoir exprimer ce savoir de façon définie et sans même avoir besoin de la faire. C'est même parce qu'ils existent sur la base de cette identité non-dite qu'ils s'efforcent de formuler celle qui le sera. Et l'importance de celle-ci parait de prime abord toute relative, puisque elle peut être largement manipulée par la première (au point d'en arriver, à travers le temps, à des expressions contradictoires) ou même ne pas parvenir à l'expression, totalement ou partiellement.(...) Pourtant, et ici le paradoxe se renforce, les groupes plus encore peut être que les individus, sont tout entier tendus vers la formulation explicite de leur identité, même s'ils doivent la faire varier autant de fois que nécessaire" (Camilleri, 1986, p333).
On retrouve dans notre cas cette difficulté à trouver une formulation en partant de la réalité même du métier, d'autant plus qu'on a vu plus haut à quel point son contenu même reste à définir clairement. On ne peut pas nommer et donner une identité claire à un corps professionnel, Si le domaine lui même ne possède pas une représentation claire.

QUELLE APPELLATION?

    Le deuxième but de la dernière question des entretiens était de mettre en avant une appellation qui reviendrait fréquemment. Comme je viens de le dire, on ne peut que constater un échec: aucun nom ne se détache réellement du reste. Tout au plus peut on noter que "créateur sonore" et "réalisateur sonore" apparaissent comme étant les plus cités. Mais comment en choisir un plutôt que l'autre, sachant par ailleurs qu'ils ne reçoivent pas l'unanimité.

    Le seul argument qui me fait pencher en la faveur du terme "réalisateur sonore" et qui me fait confirmer mon choix de départ est le fait qu'il ait été cité à chaque fois par les responsables du son eux-mêmes.

III- E / LES LIMITES

    Avant de passer aux conclusions que l'on tirer de cette analyse et des différents résultats, il est essentiel de nuancer les chies obtenus en pointant deux limites essentielles à l'interprétation des réponses.

L'INFLUENCE DU QUESTIONNAIRE SUR LA PERSONNE INTERROGÉE

LA RÉFLEXION DU FAIT DU QUESTIONNAIRE

    Cela est certainement vérifiable pour tous les entretiens de recherche, mais je crois que cette dimension est particulièrement sensible ici. Le fait d'avoir choisi de ne pas trahir le sujet de la recherche et d'avoir interrogé certaines personnes qui ne travaillent pas directement sur l'objet visé amène nécessairement une évolution dans leur pensée au fur et à mesure de l'entretien, quand les questions elles-mêmes montrent un certain point de vue du chercheur. Cela se ressent lorsque l'on compare des résultats obtenus par des questions fermées, et ceux obtenus par l'analyse de contenu sur le même sujet. Les propositions ne sont pas toujours les mêmes, dénonçant une évolution de la pensée. Cela est même parfois clairement formulé, par des commentaires du type, "j'aurais du dire cela à telle question", ou, "finalement, je me contredis".

LA PRISE DE CONSCIENCE PENDANT L'ENTRETIEN

    En effet, on peut parfois noter un prise de conscience qui se fait pendant l'entretien, dans le cas de personnes n'ayant jamais pris le temps de se pencher sur la question proposée. Cela aussi s'exprime parfois directement: "je parle tout en réfléchissant". L'exemple le plus flagrant est celui du lien entre le son et la scénographie. Certaines personnes ayant répondu plutôt négativement à la question directe ont tendance à se contredire lorsqu'elles abordent les différentes formes que peut prendre le son.

LE CHANGEMENT DE POINT DE VUE PENDANT L'ENTRETIEN

    On assiste même parfois à des changements de position très marquées, passant d'un extrême à l'autre. Cela fausse certainement les chies obtenus, d'autant plus que le nombre total d'entretiens est assez faible. C'est pour cette raison que l'analyse des résultats essaie à chaque fois que cela est possible de s'appuyer sur plusieurs résultats concordants.

L'INFLUENCE DU VÉCU PRÉSENT DU CRÉATEUR INTERROGÉ

    L'influence de ce que vit la personne sur la période qui précède est un autre paramètre que j'ai pu ressentir au moment même des entretiens. Ce phénomène est particulièrement valable pour les professions du spectacle puisqu'elles sont amenées à passer régulièrement et souvent d'une création à une autre, changeant à chaque fois d'univers de création et de partenaires de travail.

L'INFLUENCE DE LA DERNIÈRE EXPÉRIENCE

    On a donc une réelle influence dans les réponses formulées de ce que la personne vient juste de vivre. il est clair qu'un metteur en scène qui aura eu des difficultés avec son réalisateur son lors de sa dernière création aura une vision plutôt négative de cet aspect, et qu'il fera ressortir les points précis du désaccord vécu sur le terrain. De même, le réalisateur sonore va décrire les formes du son qu'il aura utilisé pour sa dernière création et en oubliera peut-être une autre qu'il utilise habituellement. Pour éviter que cette influence ne soit trop présente, la grille d'entretien a été construite afin de lancer régulièrement des pistes de réflexions, travaillant ainsi sur deux niveaux: ce à quoi pensent les personnes par elles-mêmes et ce qu'elles pensent des sujets précis proposés. Mais il n'en reste pas moins que le vécu immédiat de chacun modifie sa vison des choses quand il doit la formuler Les projets futurs eux-mêmes ont une influence.

L'INFLUENCE DE LA PROCHAINE EXPÉRIENCE

    On touche là encore à un aspect particulier du spectacle. Tandis qu'ils travaillent sur le montage d'un spectacle sur le moment, les réalisateurs (metteurs en scène et scénographes) ont souvent en tête un projet futur. Cela s'est exprimé clairement à deux reprises au cours de mes entretiens: deux metteurs en scène m'ont signalé qu'ils travaillaient rarement avec le son, mais que justement, cela allait être le cas pour leur prochaine création. Difficile face à ce genre d'affirmation de savoir s'il faut y voir une évolution réellement présente avant l'entretien ou justement provoquée par cet entretien.

CONCLUSION

LE SON, UN DOMAINE NÉGLIGÉ, PEU RÉFLÉCHI

    Le premier aspect que met en valeur ce chapitre est le fait que le son ne paraît pas du tout maîtrisé par les créateurs impliqués dans la représentation théâtrale. il est négligé, et ne figure pas dans les préoccupations essentielles de ces derniers. Les responsables son eux-mêmes devraient faire un effort dans ce sens.

PAR LES METTEURS EN SCÈNE ET SCÉNOGRAPHES

    L'ensemble des résultats montrent le peu de sensibilité des metteurs en scène et des scénographes, qui considèrent le son comme une possibilité parmi d'autres, et non comme une dimension qui doit être réfléchie systématiquement. Le son est perçu comme un domaine accessoire, que l'on envisagera en cours de création Si le besoin s'en fait sentir. il ne sera que très rarement réfléchi dès le départ.

    Pour les scénographes, il ne fait pas partie des outils possibles pour suggérer un espace. ils limitent leur compétence au domaine du visuel. il est vrai que leur métier est issu de celui de peintre - décorateur, utilisant des techniques strictement visuelles. Mais cette nouvelle reconnaissance, qu'ils ont obtenue en devenant responsables de la gestion de l'espace scénique, aurait dû, je pense, être accompagnée de nouvelles compétences. Le théâtre prend sa source dans la vie de tous les jours. Un environnement n'est plus du tout le même Si vous supprimez ses données sonores. Un scénographe soucieux de transporter le spectateur dans un univers propice à la compréhension du texte devrait utiliser le travail du son comme technique possible s’offrant à lui. Au moins devrait-il travailler comme avec la lumière, qui met en évidence son décor.

    Le metteur en scène, qui travaille avec les comédiens et donc avec leur voix, devrait se soucier de l'écoute du spectateur, des qualités acoustiques du décor que lui propose son scénographe, et ne pas considérer le travail du son comme un détail qui viendra après, sous peine de ne pouvoir l'intégrer à l'esthétique en place et à y renoncer finalement.

PAR LES RÉALISATEURS SON EUX-MÊMES

    Les réalisateurs son eux-mêmes négligent l'essence de leur métier en se réfugiant souvent dans la technique. il est vrai que l'apparition récente du son numérique a beaucoup bousculé les habitudes de travail, comme l'avait fait sans doute l'arrivée du magnétophone à bande. Mais l'outil ne doit pas conditionner le contenu du travail, il doit servir la conception. Il me semble que les responsables du son ont oublié certaines formes sonores, notamment que la voix et le respect de l'écoute du texte doivent être leur première préoccupation. ils peuvent intervenir Si ils sentent des problèmes d'acoustique, et doivent surtout composer leurs interventions sonores en fonction de la qualité des voix des comédiens. Sans doute gagneraient-ils également à être plus "courageux" dans leurs propositions de travail d'ambiance sonore. Les metteurs en scène semblent prêts à les suivre dans cette direction, alors pourquoi attendre? Mais pour que ce type de travail s'intègre parfaitement au spectacle, il faut que le travail du son démarre en même temps que le reste . Les réalisateurs son doivent être exigeants et ne pas continuer à considérer eux-mêmes que le son peut arriver plus tard. Enfin, il faut constater qu'ils sont les premiers à hésiter sur l'appellation à donner à leur profession. Autres signes de manque de réflexion: l'absence d'ouvrage spécifique concernant le son au théâtre. Aucunes des personnes concernées n'a pris le temps de transmettre par écrit son expérience et son point de vue.

UNE SENSIBILISATION A FAIRE

    Un travail de sensibilisation générale reste donc à faire.

SENSIBILISER LES METTEURS EN SCÈNE

    Tout d'abord auprès des metteurs en scène. Si on se réfère aux commentaires fait sur le domaine du sonore par ces derniers, on constate que même dans la vie de tous les jours, ils ne sont que peu sensibles au sonore. il est vrai que la pollution sonore des villes invite à se réfugier dès que possible dans le silence. Mais ce travail du silence lui-même peut être maîtrisé au cours d'un spectacle, et généré suite à un travail d'ambiance sonore très discrète. Plus généralement, le metteur en scène devrait profiter de l'espace de représentation pour recréer un univers éloigné du réel et de sa pollution, redécouvrir tout l'aspect émotionnel que peut revêtir le son.

    Il doit par ailleurs être sensibilisé au travail de l'acoustique. D'une part pour être exigeant avec son scénographe, afin que celui-ci ne lui propose pas un véritable piège à son, qui ne transmettra pas la voix des comédiens. Mais aussi dans son propre travail de direction d'acteur, en tenant compte des modification de son selon le placement de la voix par le comédien et sa situation sur le plateau. Cela lui permettra également de ne pas choisir des lieux de représentation qui exigent un soutien sonore, alors que le coût technique n'est pas prévu dans ses budgets initiaux (travail en extérieur par exemple).

SENSIBILISER LES SCÉNOGRAPHES

    C'est principalement sur les liens qui existent entre son et scénographie que les scénographes doivent être sensibilisés. Comme on l'a vu, ils sont pour la plupart conscients de ce lien. Simplement, ils ont tendance à le nier pour justifier leur manque de relation professionnelle avec les "gens du son". Si les scénographes ne viennent pas aux réalisateurs son, c'est à ces derniers de faire le premier pas. il faut donc rappeler la notion de décor sonore, d'espace sonore qui doit être travaillé en relation avec l'espace visuel. Pour cela, les réalisateurs son doivent refuser de commencer tout travail du son sans connaissance de l'espace prévu par le décorateur. Ils doivent en quelque sorte briser le schéma classique qui les lie aux metteurs en scène sans les rapprocher des scénographes. il faut supprimer les intermédiaires et arriver à travailler en relation constante avec le scénographe et l'éclairagiste.

    Pour faciliter l'établissement de ce lien, le réalisateur son se doit d'être provocateur et demandera par exemple directement au scénographe ce qu'il imagine comme ambiance sonore pour son décor. Cela paraîtra dans un premier temps bizarre (alors que cette discussion a systématiquement lieu aujourd'hui avec la lumière) mais je pense que les scénographes se prêteront finalement à ce jeu et qu'ils découvriront une nouvelle dimension possible pour leur espace.

SENSIBILISER LES RÉALISATEURS SON

    Les réalisateurs son eux-mêmes doivent être sensibilisés à certains aspects oubliés. A l'acoustique par exemple, qui pourrait permettre de créer un lien direct avec les scénographes. Je ne pense pas qu'il faille que le réalisateur son se substitue au décorateur dans cette tâche. Mais puisqu'ils ont tous les deux été formés dans cette discipline, ils peuvent collaborer dans ce sens, ce qui les rapprochera pour le reste de la création. il ne faut pas non plus oublier que certains scénographes sont plus issus de la peinture que de l'architecture, et qu'ils ne sont pas toujours formés à l'acoustique. Le réalisateur peut alors devenir un précieux conseiller.

    S'il désire mieux travailler au coeur de la création, le réalisateur ne doit pas négliger la dimension principale du son au théâtre: la voix des comédiens. il s'intéressera au travail des comédiens à plusieurs niveaux: le timbre des voix est une première donnée dans le paysage sonore, et tous les autres sons devront se marier avec celui-ci, sans jamais l'écraser. il est impératif que le texte parvienne à l'oreille du spectateur. Le rythme même de la voix pourra conditionner le type de son qu'il ajoutera à l'espace sonore. Enfin, s'il est amené à sonoriser les comédiens, il respectera au mieux l'émotion que doit transmettre l'intéressé, et on a vu dans le chapitre 2 à quel point la technique peut détruire le travail de l'artiste.
Enfin, il devrait se rappeler des vertus du son direct, aspect que j'aborderai en détail plus loin.

POUR TROUVER UNE OPTIQUE COMMUNE

Une fois faite cette sensibilisation aux multiples intérêts que présente le travail du son, il convient de travailler dans une direction commune.

SUR LA FAÇON D'INTÉGRER LE SON AU RESTE DU TRAVAIL

    Afin de travailler le son dans une même perspective esthétique, il est indispensable que le réalisateur soit intégré à l'équipe le plus tôt possible, je dirais en même temps que le scénographe et l'éclairagiste. A plus longue échéance, il serait même souhaitable que des liens privilégiés se nouent entre responsable de l'espace et responsable du son, comme ils existent aujourd'hui avec la lumière. La présence du réalisateur son au tout départ du projet installera des interactions entre les différents domaines. Les trois responsables de l'espace avanceront ensemble, se tenant régulièrement informés de leur progression, et travaillant parfois ensemble pour réaliser un aspect du travail en commun. Le son ne sera plus cette dimension plaquée au dernier moment, tentant tant bien que mal de se fondre dans l'espace qui s'est construit sans lui.

    Pour certaines parties d'une bande sonore, le travail dans un lieu parfaitement silencieux est nécessaire. Je pense par exemple à l'enregistrement des voix-off Mais pour beaucoup d'effets sonores (si on se place dans la perspective d'une bande sonore électro - acoustique), une simple pièce un peu à l'écart serait suffisante. On pourrait ainsi choisir de confectionner la bande dans le théâtre lui-même. Cela permettrait au responsable du son de rester en contact avec le reste de l'équipe, et d'avancer dans la création avec les autres. ils pourrait également tester ses sons dans le lieu final de la représentation, voire en répétition avec les comédiens, au fur et à mesure de sa progression. Ce type de travail a déjà été expérimenté avec succès par quelques créateurs.

    Toujours dans le même esprit, il faut signaler ici une fois encore tout l'intérêt que présente le travail du son en direct: dans ce cas, pas de studio, pas de machines électriques, mais des objets sonores testés en direct pendant les répétitions, et un travail qui évolue en liaison directe avec toutes les autres dimensions du spectacle.

SUR LES FORMES QUE PEUT PRENDRE LE SON

    On a vu que l'acoustique est domaine qui concerne tout le monde, et qu'il est un lien de travail possible. On constate également que la musique est un point de ralliement des différents protagonistes. Son travail n'amène d'ailleurs pas de commentaire particulier.

    C'est pour le travail des ambiances que les choses se compliquent. On touche ici à un aspect particulier des résultats: en effet, il semble que tout le monde soit d'accord pour travailler le son comme une dimension abstraite, éloignée de l'illustration.

    Pourtant, les metteurs en scène marquent un réel désintérêt pour le son actuel (25), et les réalisateurs son citent encore énormément le travail du bruitage comme possible (17), il est vrai sans le juger de façon positive. On peut sans doute y voir une relation d'hésitation, de manque de communication entre les différents corps de métier qui pourraient s'entendre sur un domaine (qui obtient un des meilleurs résultats au total général), mais qui restent sur leur position passée, comme le montrent les résultats concernant le retard du son (23).

    Il faut donc développer ce travail sur lequel tout le monde tombe d'accord, sans oser réellement faire le premier pas. Comme je l'ai déjà signalé, cela suppose que le travail du son arrive dès le départ de la création. Mais il faut également que les réalisateurs son osent s'éloigner du bruitage, du travail du son réel pour proposer aux metteurs en scène de véritables espaces imaginaires, suivant en cela le travail du décor pour lequel la dimension réaliste n'est qu'une possibilité parmi d'autres.

    Enfin, le réalisateur son doit redécouvrir le son direct

POUR REDECOUVRIR LE SON DIRECT

    J’ai déjà abordé ce domaine à plusieurs reprises. il convient à présent de synthétiser tous les avantages que procure cette approche du son. Premier intérêt, et non des moindres, il correspond tout à fait aux attentes des metteurs en scène et des scénographes:

- "Pour moi, le premier son est le bruit du déplacement dans l'espace." (metteur en scène)

- "Mais j'aime mieux le son direct." (scénographe)

- "Tous les spectacles vers lesquels je suis porté, il y a très peu de son rapporté" (scénographe)

- "Moi mon rêve, ce serait le bruitage en direct" (metteur en scène).

    On voit donc que le réalisateur son a tout intérêt à explorer cette direction du son, et qu'il y sera soutenu. Pourtant, il lui faudra certainement lutter contre l'incompréhension de certains techniciens des théâtres dans un premier temps. Mais s'il réussi à les impliquer dans ce travail, il n'y a pas de raison que les choses se passent mal. Les relations avec les autres membres de la création peuvent aller assez loin avec ce type de travail, puisque le réalisateur peut solliciter les machinistes pour faire fonctionner certaines machines, ou même les comédiens eux-mêmes, lorsqu'ils sont en coulisse.

    Par ailleurs, ce type de travail permet de se libérer totalement des contraintes de plus en plus lourdes de la technique. Les nouvelles machines, Si elles facilitent le travail du régisseur en cours de spectacle, ont de plus tendance à éloigner le réalisateur du contenu de son travail. Avec le travail du son en direct, il peut renouer avec le principe de la réelle création du son, de la recherche de sons inédits, variant sans cesse et sans cesse renouvelés. On quitte la froideur du son toujours identique, toujours au même niveau, toujours au même moment. L'improvisation peut même intervenir au détour d'une répétition. Comme le signale un des metteurs en scène, on retrouve une certaine poésie du sonore:

- "Plus on gagne un technicité, plus on perd en poésie, c'est mon sentiment. " (metteur en scène).

    Autre intérêt, le côté acoustique du son. Puisqu'il est produit en direct, créé et testé dans le cadre de la représentation, il peut particulièrement bien se marier avec le reste des sons. De ce fait, il n'est plus un univers plaqué, il se fond avec les autres sons produits par les comédiens. On peut même imaginer que le réalisateur attire l'attention des comédiens et du metteur en scène sur un bruit provoqué inopinément, et qu'il soit ensuite intégré dans le jeu:

"Le bruit des talons sur le sol, le frottement d'une main sur une surface, qui ne sont pas entendus, mais qui sont là." (scénographe)

    Avec le travail du son en direct, une autre dimension oubliée prend également toute son importance: le silence. Le réalisateur ne se sent plus contraint de créer un univers sonore toujours présent, afin que ses sons ponctuels ne paraissent pas décalés par rapport au silence du plateau. Cette tendance est assez flagrante dans les productions sonores modernes.

    En effet, Si l'on veut qu'un son ponctuel ne paraisse pas totalement artificiel (puisqu'il sort de haut-parleurs), on le fait surgir dans une autre ambiance sonore sous-jacente, quasiment constamment présente. Les bandes sons modernes se vantent souvent de tourner en permanence pendant le spectacle. Avec le son direct, on n'est plus confronté à ce problème, et le silence du plateau peut reprendre toute sa dimension; au besoin on provoquera des silences plus profonds en les précédant d'un petit son continu, non perçu en tant que tel par les spectateurs, mais permettant de marquer le silence qui suit par contraste, lorsqu'on le coupe brusquement.

POUR DEGAGER UNE IDENTITE

    Avec tout ce qui a été précisé auparavant, avec la définition du domaine du sonore, on peut finalement arriver à définir une profession, à lui donner une réelle identité. Et comme je l'ai déjà dit, cette formulation peut elle-même contribuer à une meilleure intégration du son: "(la formulation d'une identité) interpelle autrui et, du fait même qu'elle l'implique (car tout volonté de redéfinition d'un rapport social intéresse les autres), elle lui donne le droit d'interpeller à son tour sur cette interpellation". (Camilleri, 1986, 341). Le but n'est donc pas de figer un domaine, mais de lui donner une "forme » à un instant donné, afin que cette forme puisse être elle même discutée, remise en question, améliorée. Que cette évolution naissante soit la preuve de l'existence d'un métier.
 
 

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